30 novembre 2012

Gilbert Coutaz

Président de RéseauPatrimoineS

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Monsieur le Conseiller d’Etat honoraire,
Monsieur le vice-recteur
Madame, Messieurs les Conférenciers,
Mesdames et Messieurs les membres du comité,
Mesdames et Messieurs, Chers amis du Patrimoine,

J’ai le plaisir d’ouvrir officiellement les 4es Rencontres des patrimoines, en présence d’un auditoire relativement nombreux et varié. Je rappelle les thèmes des 3 précédentes rencontres dont les actes ont tous été publiés électroniquement sur le site de notre association auquel je vous renvoie : le vendredi 21 novembre 2003 : Raison des réseaux : le patrimoine, l’électronique et ses acteurs en Suisse ; le vendredi 11 novembre 2005, Patrimoine littéraire et patrimoines émergents ; le vendredi 13 novembre 2009, Patrimoine culturel immatériel et patois.

L’originalité de la démarche d’aujourd’hui tient au fait que le thème des 4es Rencontres des patrimoines est couplé avec la publication des Documents, la 13e depuis 1998, portant le même thème Patrimoine numérique, numérisation du patrimoine. La publication sera vernie par mon collègue de comité, Jean-François Cosandier, avec qui j’ai mis sur pied l’organisation de cette journée et dirigé le No13 des Documents. Autre originalité : nos 4es Rencontres ont lieu sur le campus lausannois, alors que les 3 autres éditions ont eu pour cadre la salle de l’Aula du Palais de Rumine, à Lausanne. Je reviendrai sur ce point, dans mon propos.

En associant deux démarches, l’une éditoriale, l’autre de caractère public, nous avons veillé à les rendre complémentaires et autonomes. Il n’empêche qu’elles s’inscrivent toutes deux dans un contexte similaire, celui du patrimoine numérique, numérisation du patrimoine, dont je vais évoquer les principaux constats et les principales interrogations.

Des situations paradoxales et contrastées

L’envahissement des technologies informatiques bouleverse et renouvelle l’ensemble des pratiques humaines. Il touche toutes les ressources informationnelles, il en modifie les processus et les performances. Il agit fortement sur l’élaboration, la diffusion et la conservation de l’information. La pénétration et la maîtrise de l’informatique génèrent des disparités, on parle de fracture numérique entre les pays nantis et les pays pauvres. Que l’on veuille ou non, l’emprise de l’informatique est irréversible et ne peut que s’amplifier au fil des années. Elle impose ses nouveaux environnements, définit des modèles et des standards vite dépassés, augmente régulièrement ses capacités, chamboule les cadres juridiques, rapproche des patrimoines éloignés ou défaits par l’histoire et entraîne ses utilisateurs parmi lesquels les collectivités publiques dans des coûts de maintenance et d’investissements permanents et croissants.

En deux décennies, l’informatique est devenue une force, un pouvoir, une valeur étalon ; la numérisation est un recours obligé pour toute stratégie de la connaissance et de la communication. Disposer de l’informatique, c’est s’inscrire dans le flux des informations, en l’alimentant de ses données ou en y puisant celles qui nous manquent ; selon les auteurs, c’est aussi propager les idées dominantes ou combattre les idéologies inappropriées. Numériser, c’est s’intégrer  dans des réseaux, c’est toucher simultanément et en tout temps plusieurs publics.

Or, face à ces bouleversements, l’UNESCO a adopté, le 15 octobre 2003, la charte sur le patrimoine numérique, dans une démarche étonnement précoce par rapport aux dates d’apparition de la micro-informatique et d’Internet, a anticipé de manière remarquable les nouvelles obligations liées à l’émergence de l’informatique. La charte a posé les termes d’un nouveau patrimoine aux contours incertains et changeants. Il faut bien comprendre que le terme de numérisation recouvre à la fois les informations nativement numériques, dans un environnement de dématérialisation croissant, et la rétroconversion qui autorise, par ses capacités de pouvoir tout récupérer et compresser, de reconsidérer tous les patrimoines à l’aune du processus binaire. L’extension du champ numérique n’est pas sans risques, puisque des voix ont déjà fait valoir, dans une vision réductrice, que l’élimination des patrimoines récupérés par la numérisation pouvait être demandée, voire encouragée.


La Mémoire en jeu

Tout en en faisant le constat, la Charte sur la conservation du patrimoine numérique de l’UNESCO n’a pas pour autant résolu la contradiction fondamentale entre le recours à l’informatique et la globalisation de l’information d’une part et la protection et la pérennité du patrimoine numérique d’autre part. Le bilan est pour l’heure mitigé et reflète bien la prédominance des visions consuméristes et immédiates dans les projets et les développements informatiques. Les décalages et les malentendus entre les deux discours sont patents. En effet, si nous n’avons jamais disposé d’autant d’informations à la fois ni aussi instantanément, celles-ci n’ont jamais été aussi fragiles et volatiles, en raison de l’obsolescence des technologies et de l’inconstance des standards et des environnements. Elles sont tout à la fois  opaques, mobiles et malléables. Le temps informatique n’est pas à ce jour le temps historique, sauvegarde et archivage ne sont pas des termes synonymes Les modes opératoires vont plus vite que les réflexions sur leur préservation. Leur mutation intervient dans la fébrilité des initiatives et des interprétations. Pour la première fois dans l’Histoire, les données ne sont plus solidaires d’un support physique. A la matérialité des informations qui a toujours existé depuis l’origine du monde se substitue progressivement et inéluctablement la dématérialisation qui recompose toute l’approche et la compréhension du patrimoine. Le terme «original» ne fait plus guère sens devant la facilité à les reproduire et à les modifier. On lui préfère celui d’authentique ; l’intégrité et la complétude des données deviennent des contraintes de la conservation pérenne. Dans cette fuite effrénée en avant, on a oublié comment ancrer la Mémoire, la rendre consultable pour demain et après-demain. A défaut de changer les mentalités et d’investir de manière continue en matière de conservation, notre société risque d’être frappée d’amnésie. Il est utile de noter ici l’existence du Musée Bolo, sur le site de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, qui balise le parcours de l’évolution des technologies informatiques, dont les changements sont impressionnants et de plus en plus rapides.

Si la publication des Documents dresse pour la première fois  dans le canton de Vaud un état des réalisations numériques qu’elle s’attache à présenter les principaux acteurs, les 4es Rencontres font intervenir des personnalités du monde de l’enseignement et de la recherche scientifique de l’Université et de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et de l’administration fédérale suisse à qui nous avons demandé d’exprimer des points de vue sur la création, l’enseignement, sur les apports technologiques à la sauvegarde et à la diffusion du patrimoine, sur la formation ; nous évoquerons aussi les enjeux de la cyberadministration. Le professeur ordinaire de l’Institut de sciences sociales  de l’Université de Lausanne, Dominique Vinck, a été chargé de porter en clôture des conférences un point de vue, philosophique et humaniste, sur les relations entre les sciences, les techniques et la société à l’ère du numérique. Enfin, une table ronde animée par M. Patrick Nussbaum, réunira l’ensemble des intervenants, à l’exception de MM. les professeurs Albera et Vinck qui devra nous quitter en cours d’après-midi; ainsi que M. Le conseiller d’Etat honoraire du canton de Vaud, François Marthaler, et le vice-recteur de l’Université, Jacques Lanarès. Je remercie toutes ces personnes d’avoir accepté notre invitation et de l’avoir soutenue, en constatant dans la salle la présence de nombreux élèves qui suivent les enseignements des différents professeurs présents. Je remercie également le Rectorat de Lausanne et ses services de logistique d’avoir accueilli notre manifestation et d’avoir mis à disposition gracieusement l’auditoire et les moyens techniques qui lui sont liés.

La présence sur le campus lausannois : un grand potentiel numérique

Si notre société a choisi le cadre du campus lausannois, c’est non seulement parce que l’Université et l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne sont des pôles importants et essentiels de l’enseignement, de la recherche et de l’utilisation informatiques, mais aussi parce que le campus lausannois représente un potentiel de patrimoine numérique exceptionnel avec ses pôles de la conservation et de la diffusion de la connaissance que sont la Bibliothèque universitaire, les Archives cantonales vaudoises, la Fondation Jean Monnet, les instituts de recherche sur les lettres romandes, Benjamin Constant et les Archives de la construction moderne, ces institutions, au nombre de 12, regroupées depuis le 3 novembre dernier sous le sigle Mnémo-Pôle.


Les dangers qui guettent la numérisation

Je le disais, il y a un instant, que le patrimoine numérique, tout en étant un enjeu nouveau du patrimoine, reste très fragile. Il exigera non seulement de nouveaux positionnements et des nouveaux comportements, mais aussi des masses financières nouvelles et constantes. Les restrictions financières, voire les suppressions de tout financement comme le Conseil fédéral l’annonce dès 2014 pour les aides en matière de protection de biens culturels, après de fortes compressions dans le domaine archéologique et dans le patrimoine monumental, constituent des menaces réelles de manière générale sur le patrimoine, d’autant plus que les cantons n’augmentent pas en conséquence leur budget.

Nous avons des raisons d’être inquiets devant le mouvement amorcé depuis quelques années de plusieurs glissements de subventions financières fédérales ou culturelles en matière patrimoniale, dans que la masse générale d’argent n’augmente et que le privé prenne le relais. Nous savons que le numérique est gourmand non seulement en mémoire, mais aussi en argent et en compétences. A l’évidence de nouvelles approches technologiques, pratiques et formatives et financières devront être proposées et appliquées. Les atavismes sont encore nombreux, la prise de conscience de l’urgence d’agir et de planifier tarde.

Au-delà des exigences techniques et technologiques du patrimoine numérique, notre société devra se positionner sur ce qu’elle entend faire de sa mémoire numérique qui occupe déjà la plupart de nos espaces d’évolution. C’est sans doute dans la capacité de conserver et d’entretenir la mémoire numérique que nous pourrons le mieux mesurer les conséquences de l’informatique. Le numérique ne doit pas être le fossoyeur de la Mémoire. De cette lecture, il y va de notre identité et de l’avenir de notre société de droit.

Je vous remercie de votre attention.


Gilbert Coutaz, président de RéseauPatrimoineS

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