animée par Patrick Nussbaum

Rédacteur en chef Actualité-Radio et Multimédia, RTS

Retour au programme de la rencontre

dscn4215 b

Invités :

  • François Marthaler, ancien Conseiller d’Etat du canton de Vaud,
  • Jacques Lanarès, vice-recteur, responsable du dicastère « Qualité et ressources humaines », UNIL,
  • Mme et MM. Sabine Süsstrunk, Jean-Jacques Didisheim, Olivier Glassey, intervenants de la journée,
  • ainsi que l'assistance.

 

Les risques de la numérisation du patrimoine

Court-on un risque lié à la numérisation du patrimoine? Cette première question lancée par P. Nussbaum appelle divers axes de réponses. Selon S. Süsstrunk les supports sont certes fragiles, mais vu leur coût on peut les multiplier en copiant le code, sans perte. J.-J. Didisheim rappelle que l’information peut dès sa naissance devenir moins durable : alors qu’on écrivait des lettres, on communique maintenant par Skype. Fr. Marthaler, qui a été en charge du patrimoine bâti, souligne que celui-ci tend à se transformer en musée. Mais des outils collaboratifs permettent de repérer et documenter des nouveaux patrimoines. Exemple : les jardins historiques. Une base de données permet à tous ceux qui s’y intéressent de mettre en réseu leurs connaissances, au sens du « crowd sourcing » évoqué par S. Süsstrunk dans sa contribution. Dans le cadre de l’Université, J. Lanarès voit l’évolution du stockage, qui permet aujourd’hui de tout conserver, mais est-ce utile ? On filme des cours, mais qui les consulte ? si on a le texte, on le lit bien plus vite !


dscn4229Les questions  d’accès et de classement sont-elles de purs fantasmes ? Elles ne semblent plus être un grand problème, mais tout ce qui est accessible doit-il être conservé ? O. Glassey donne l’exemple de Google Street View, où émerge une demande d’effacer les données : ne se priverait-on pas alors plus tard d’une information intéressante sur les villes au temps de nos parents ?… La vraie question, comme pour les ouvrages numérisés par Google est : qui contrôlera l’accès à ces données ?


Une réflexion politique devrait avoir lieu. Selon F. Marthaler, la première question à résoudre concerne l’Open Data : la politique doit régler le statut des données créées avec l’argent public, qui doivent rester en accès public, ce qui n’est pas encore généralement le cas. F. Marthaler a été frappé par le film d’animation 3D sur Romainmôtier : la compréhension de ce qu’étaient les vestiges existants est une avancée fantastique, et un partage d’un savoir accumulé.
S. Süsstrunk met en garde contre la manipulation et le côté propagande : on peut utiliser des images filmées et leur faire dire ce qu’on veut. Le public doit y être rendu attentif.

 

Le droit à l’oubli

Ce thème est souvent évoqué aujourd’hui. La société risque de vouloir effacer des choses qu’on ne souhaite pas voir subsister. Mais feront-elles défaut ?
O. Glassey signale qu’aux USA, 90% des enfants de moins de deux ans ont déjà une « ombre informationnelle ». Les parents créent des pages Facebook pour des enfants encore à naître ! Et Facebook est un des plus grands cimetières du monde : chaque année 1,7 million de membres meurent. Que fait-on de leurs données ? Cela pose des problèmes de fond. Les Etats ne savent pas dialoguer avec les opérateurs, ils ne savent pas faire respecter le droit… Et comme tout est gratuit, nous ne sommes peut-être pas le client, nous sommes le produit !
Est-il vain de penser effacer ces traces ? La technologie est-elle devenue autonome ? Selon S. Süsstrunk, les machines font ce qu’on leur dit. Le problème est que les données appartiennent aux opérateurs. Lorsque nous signons avec  Facebook ou autre, c’est notre responsabilité de savoir ce à quoi on s’engage.

 

dscn4227

Peut-on ajouter à notre patrimoine des éléments de réalité complémentaires ?

Fr. Marthaler pense que si des gens apportent leur contribution en ajoutant du sens à un patrimoine numérique, c’est qu’il est utile, qu’il est vivant. Mais les acteurs privés peuvent se permettre de supprimer des données malgré leur côté utile (exemple d’une information publiée par F.M. sur l’obsolescence programmée). Selon J. Lanarès, on peut commencer par faire respecter un certain nombre de règles.
Et la technologie ne va-t-elle pas aller plus vite que la capacité de comprendre ? Une partie de la population ne sera-t-elle pas laissée pour compte ? O. Glassey est sensible aux efforts de mémoire collective, tels que Wikipédia, le web sémantique. L’ « algorithmisation » de la connaissance est un problème comme un autre, qu’il faudra résoudre, sans créer des dissymétries au niveau social. Il faut garder une réflexion citoyenne permettant de reconstruire du sens, et d’agir sur le contenu numérique.
Dans cette société numérique, F. Marthaler se pose la question des processus de mémoire. Comment se fera la transmission intergénérationnelle du savoir ? Il donne l’exemple d’un poème transmis par sa grand-mère, ou du bon vieux livre de cuisine : A l’heure d’Internet comment passons-nous ce savoir à nos enfants ?

 

Les professionnels et la confiance dans l’informatique

Une remarque est lancée dans la salle : si pour l’utilisateur courant le stockage ne coûte plus très cher, dans le contexte professionnel il demeure très élevé. J.-Cl. Genoud, qui gère des projets d’archivage au Centre informatique de la Ville de Lausanne, montre que le coût du Téraoctet dans un contexte de pérennisation est près de 1000 fois plus élevé que le disque acheté par un particulier, si l’on inclut la sécurité, les serveurs, les réseaux, l’indispensable duplication des données, le travail, etc.

dscn4224S. Süsstrunk se demande s’il est toujours nécessaire de faire la numérisation pour les patrimoines analogiques. On doit aussi pouvoir envisager des solutions hybrides.  
P. Nussbaum pose encore la question de l’E-learning et du E-voting. J.-J. Didisheim estime que pour le vote il est encore plus confortable de le faire sur papier. Mais une approche de E-democracy peut favoriser la participation aux processus démocratiques. Selon F. Marthaler, le E-voting peut être un cauchemar : pour éviter la tricherie, il faudrait savoir qui a voté quoi. Mais c’est contre tous les principes, à moins de revenir au système de la Landsgemeinde… En revanche, ayant ouvert le portail vaudois de cyberadministration, il y voit une opportunité extraordinaire pour favoriser la participation et la transmission des messages vers les citoyens.
O. Glassey souligne l’évolution vers l’omniprésence de la consultation : tout se pare d’une vertu participative, mais quel sens a le fait de cliquer sur un bouton dans Facebook ? Il a peur de la participation générale et des « paniques morales ». Les systèmes démocratiques traditionnels ont des lourdeurs mais ils offrent le temps de la réflexion… J. Lanarès se méfie aussi de cette tendance dans l’université, où on réagit plus en fonction du contact que du fond de la question. Pour F. Marthaler, des consultations en ligne bien faites peuvent aussi exister, comme celle sur le projet d’agglomération Lausanne-Morges. On est loin des sondages de 24 heures faciles à truquer !

G. Coutaz remercie l'animateur et les intervenants de leur contribution autour de ces problèmes complexes.

 

 
Extrait sonore :

 

Retour au programme de la rencontre