Greffe, Xavier : La valorisation économique du patrimoine.
Paris, La Documentation française, 2003. 278 p. ISBN 2-11-094274-6 ; 25 euros.

Le patrimoine se définit par sa valeur d'exemplarité, d'identité ou de valeur de remémoration. "Un objet devient patrimoine parce qu'il est lourd de sens pour une collectivité et que son existence devient le moyen de symboliser une histoire ou de faire partager des valeurs." Par sa valeur historique ou artistique, il a un caractère irremplaçable. Enfin, "un objet devient patrimoine parce qu'il représente une valeur économique et que sa disparition constitue une perte pour la collectivité". C'est justement autour de cette notion de valeur économique que tourne le livre. Les acteurs qui se préoccupent de la mise en valeur des patrimoines sont nombreux : l'Etat, les collectivités territoriales et les propriétaires, les entreprises, les artisans et les associations constituent des partenaires, en principe complémentaires, avec des valeurs diverses.

Le patrimoine se retrouve aujourd'hui à la conjonction de nombreuses attentes dont deux évolutions majeures de l'environnement économique et social contemporain viennent renforcer l'intérêt : la nécessité de créer de nouveaux emplois et celle de mieux affirmer l'originalité et la qualité des produits et des services. Il évolue dans un monde globalisé où les tendances à la banalisation et les pressions dues à la compétition, nationale comme internationale, sont des plus vives. Trois types de valorisation - au nom de l'existence, de l'usage ou du développement - supposent de mettre en relation des logiques inhérentes au patrimoine avec celles de la valorisation économique.

Les questions auxquelles l'ouvrage tente de répondre sont toutes posées dans l'avant-propos. Elles méritent d'être formulées dans les termes mêmes de l'auteur : "Je me suis efforcé de montrer les tenants et aboutissants de la valorisation économique du patrimoine sur la base de quatre constats que j'ai associés : parler de valorisation économique du patrimoine, cela ne signifie pas que les choix patrimoniaux doivent être soumis à une logique mais c'est dire que ces choix ont une dimension économique qu'il convient d'éclairer et de considérer ; cette dimension est perceptible dès lors que l'on ne raisonne pas seulement en termes de monuments ou d'objets, mais en termes de services rendus à partir du patrimoine existant ; parmi les valeurs que ces services satisfont , il convient de distinguer entre valeur d'existence et valeur d'usage, laquelle distinction permet alors d'éclairer les choix différents effectués par les Etats et les problèmes rencontrés ; enfin, parmi ces perspectives, il est essentiel de tenir compte des différents intérêts en présence : ceux des populations locales, ceux des entreprises, ceux des touristes. Ces constats m'on permis de donner une interprétation du système français du patrimoine. Ce système a été conçu et organisé au nom de la valeur d'existence du patrimoine, laquelle contribue à l'identité de la Nation et entend servir de ciment aux représentations collectives. De ce fait, les valeurs d'usage de ce patrimoine, qui suscitent l'intérêt des ménages et des entreprises, ont longtemps été considérées de manière marginale, alors même qu'elles sont aujourd'hui susceptibles de dégager un certain nombre de ressources qui permettent de conserver ces patrimoines tangibles et intangibles. Ce défi doit être aujourd'hui assumé par le système français sans que soit aucunement mise en cause la grande qualité scientifique et technique des métiers et des ressources contribuant à la conservation et à l'animation du patrimoine. La décentralisation peut y contribuer au même titre que la reconnaissance des apports associatifs ou la prise en considération des besoins des acteurs locaux."

En cinq chapitres, l'auteur explore les dimensions économiques du patrimoine :

  • dans le premier, il mesure l'ampleur économique du secteur, selon le critère de l'emploi. L'empreinte économique de la filière du patrimoine s'étend bien au-delà des 40 000 emplois traditionnellement reconnus en France et qui constituent effectivement le cœur ;
  • les concepts et les perspectives qui distinguent le patrimoine des autres secteurs d'activités sont identifiés dans le deuxième chapitre ; l'originalité économique du patrimoine postule des interdépendances entre les ressources et les comportements qui sont à dépasser au profit d'une approche en termes d'économie patrimoniale ;
  • le système français est situé, dans le troisième chapitre, au sein de ces perspectives, en comparaison des autres systèmes nationaux. Plusieurs contenus sont dignes d'être rapportés : la dichotomie du patrimoine bâti et du patrimoine naturel ; alors qu'elles offrent un panel extraordinaire de compétences et de ressources qu'elles devraient jouer un rôle complémentaire de l'Etat, il faut constater la marginalisation croissante des associations qui représentent 15% du secteur associatif français et près de 2400 associations qui peuvent être réparties en trois groupes : sociétés savantes et des académies ; militantisme de sauvegarde ; ensemble des mouvements attachés à la mise en valeur d'un patrimoine local, dans deux versions, "la première cherche à faire revivre les traces de la vie en société, en passant souvent de la maison comme cadre le plus quotidien qui soit, en insistant sur les valeurs de travail et de solidarité, et en débouchant parfois sur une recherche folklorique", la seconde part "du territoire plutôt de la maison" ; signalons encore les têtes de chapitre au libellé évocateur : les dynamiques négatives de l'approche étatique du patrimoine avec notamment les paradoxes de la conservation : valorisation ou momification ?; les clivages patrimoine culturel-patrimoine bâti/architecture/patrimoine naturel ; un équilibre mal ajusté avec les propriétaires privés ; des gestions publiques coûteuses et faiblement efficientes ; l'évolution défavorable des budgets de conservation ;
  • dans le quatrième chapitre, un certain nombre d'ajustements sont proposés comme nécessaires à l'organisation de la politique du patrimoine, relatifs aux différents maillons de la chaîne que représentent la protection, le financement et la conservation, pour donner plus de vigueur aux efforts de mise en valeur des propriétaires publics ou privés ;
  • enfin, le dernier chapitre décrit les outils d'analyse économique en fonction du niveau d'intervention : la mise en valeur d'un monument, la contribution de cette mise en valeur au développement du territoire qui l'entoure et, finalement, la détermination des budgets publics souhaitables ;

Dans une approche très française, l'auteur place le thème de la décentralisation au terme de son enquête et montre à quelles conditions celle-ci vient renforcer la mise en valeur des patrimoines. "Il apparaîtra alors que le type de décentralisation choisi est plus déterminant que son principe, ce qui implique encore plus de réformes au niveau central qu'au niveau local".

L'ouvrage, certes très connoté par les exemples empruntés à l'expérience française, livre de nombreux tableaux statistiques, économiques et de caractère financier, très utiles pour quiconque, en plus d'une vaste bibliographie. Il ouvre des perspectives vastes et décomplexifie les approches patrimoniales, quand il propose l'expérience des pôles économiques du patrimoine, une détermination des fonctions d'emploi, une estimation européenne des emplois culturels. Il parle d'utilité du patrimoine, au-delà de sa simple conservation à laquelle l'Etat a voué trop longtemps ses seuls soins. Plusieurs instruments d'évaluation sont originaux, comme l'enquête sur les pratiques culturelle des Français, l'expression monétaire des valeurs du monument, le coût du personnel des monuments, le yield management et les effets de l'investissement patrimonial sur les territoires.

Sur ce livre dont la lecture est recommandée à tous souffle un grand vent d'optimisme ou plutôt de défis à relever : le patrimoine n'est pas une notion désincarnée ni un simple héritage, mais "un levier de créativité et de développement de nos sociétés". Selon l'auteur, il vaut mieux désormais parler de dimension économique attachée indéfectiblement à chaque patrimoine.

Gilbert Coutaz
janvier 2005