Pour une histoire des politiques du Patrimoine. Sous la direction de Philippe Poirier et de Loïc Vadelorge.
Paris : Comité d’histoire du ministère de la culture. Fondation Maison des sciences de l’homme, 2003, 615 p. (Travaux et documents, No 16).

Ouvrage collectif, organisé autour de 32 contributions différentes, rédigées par des historiens et des administrateurs du patrimoine, cette publication s’impose par l’ampleur et l’originalité de son propos. Elle est fortement documentée et écrite avec un grand sens de la formulation. Plusieurs chapitres ont une valeur générale, en plus de ceux qui traitent des moments charnières qui ont fondé les politiques du patrimoine ou plutôt les phases de patrimonialisation en France.

 

L’ambition du volume est de poser les jalons, sur la longue durée, d’une histoire des politiques du patrimoine. La méthodologie suivie, le regard dans le rétroviseur pour éclairer les enjeux d’aujourd’hui, donne des résultats très intéressants et devrait inciter des approches similaires dans d’autres pays que la France. Certes, les exemples sont exclusivement empruntés l’histoire de régions et départements (Bresse Bourguignonne, Seine-Inférieure et Maine-et-Loire) et de villes de France (Lyon, Reims, Rouen et Saint-Quentin-en-Yvelines) de France, ainsi qu’à des acteurs de la vie politique et culturelle (Paul Léon, Jérôme Carcopini et André Malraux), ce qui limite l’intérêt de certaines contributions. Mais ils n’empêchent pas des constats d’intérêt général.

 

Ainsi, les politiques du patrimoine sont peu étudiées pour elles-mêmes et sont généralement absentes des modèles construits pour rendre compte des politiques culturelles. Loïc Vadelorge écrit ceci au sujet du thème « Le patrimoine comme objet politique ». Il faut attendre le milieu des années 1970 pour lire des travaux consacrés au patrimoine, réduits en fait au secteur des monuments historiques. Le lancement de l’année du patrimoine en 1980 va modifier les approches, les unes contribuant à consacrer des champs nouveaux de l’intervention publique, les autres se proposant d’interroger le sens social et historique de la notion de patrimoine. Les années 1990 compléteront les démarches dans quatre directions. « D’une part, en réponse à une forte demande sociale, chercheurs et acteurs – principalement des historiens et des ethnologues – approfondissent le problème de la signification et de l’extension du patrimoine (…). Parallèlement à ce travail d’investigation, dont on comprend bien les enjeux identitaires pour les disciplines, l’historiographie du patrimoine est complétée dans les années 1990 par des études juridiques et économiques. » (pp.13-14) Une troisième direction de recherche « consiste à préciser nos connaissances sur l’histoire ancienne du patrimoine, qui à bien des égards éclaire les problématiques contemporaines. » (p. 15) L’accent est ainsi mis sur les périodes historiques qui ont marqué le patrimoine : Révolution française, Constituante, Monarchie de juillet, IIIe République, Régime de Vichy, La Libération et ère Malraux. Dernier axe de réflexion, la publication de travaux de synthèse de portée très inégale, mais qui, pour rendre compte du sens du patrimoine, ont mis l’accent sur les politiques qui le mettent en œuvre. « Les grilles de lecture vont de l’enchevêtrement des périodes à la mise en évidence des logiques transversales » (p. 17). Au-delà de la périodisation de l’histoire des politiques patrimoniales, l’ouvrage aborde les questions du rôle des associations et des territoires, avec le besoin de dépasser le mode bipolaire, forcément antithétiques : amateurs contre professionnels, scientifiques contre politiques, associations contre administration, centre contre périphérie.

 

La volonté de démocratiser la culture vivante s’est faite consciemment ou non au détriment du patrimoine qui a souvent souffert d’un relatif effacement en raison même de ses modes de fonctionnement (les politiques du patrimoine s’inscrivent dans la longue durée, nécessaire aux procédures de classement, aux travaux d’entretien). Les politiques culturelles sont rythmées par la saison annuelle, celles du patrimoine s’appuient sur des structures administratives lointaines, avec du personnel reconnu pour ses compétences et qui relève du rôle essentiellement de l’Etat. « Patrimoine et culture, loin de s’opposer et de se repousser, s’inscrivent plutôt dans une sorte de tension stimulante, de dialectique de l’héritage et de la création. De nos jours, ils finissent par se combiner assez harmonieusement. D’un côté, en effet, la culture englobe le patrimoine : elle lui donne son nom au niveau étatique et administratif, et, de l’autre, elle se modèle sur lui : elle adopte l’aspect d’un héritage national ou local au niveau des politiques publiques. » (Yvon Lamy, p. 55)

 

La période la plus récente se caractérise par l’émergence de nouveaux acteurs partenaires du patrimoine, comme les collectivités locales et le mouvement associatif de plus en plus large dont le chapitre d’Hervé Glevarec, « De la société d’histoire à l’association du patrimoine. Changements socioculturels et nouvelles raisons de mobilisation » se fait l’écho et reprend ici ce qu’il a publié avec Guy Saez, Le patrimoine saisi par les associations, en 2002 (voir compte rendu spécifique) pose de nombreux constats intéressants. Il part du postulat que la mobilisation associative se fait dès le début de la décennie 1970 de manière concomitante avec le développement de l’intérêt pour le patrimoine. Depuis, le mouvement a connu une très forte accélération, le mouvement d’extension des objets patrimoniaux donnant lieu à un ensemble de discours tenus sur le phénomène patrimonial. L’auteur évalue entre 500 et 800 la fourchette de création annuelle des associations durant les années 1980-2000, en France. « Le patrimoine est pour les associations un problème et une pratique (…). Le patrimoine est un objet et un signifiant : le patrimoine, ce sont des objets et c’est le signifiant de la mémoire, l’outil d’autre chose (du territoire par exemple) (p. 525).

Gilbert Coutaz