François Albera

Professeur ordinaire, section d'histoire et esthétique du cinéma, UNIL

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Mon intitulé a une forme interrogative. A dessein, car il s’agit d’essayer de poser une question sous tous ses aspects sans avoir la prétention de lui apporter une réponse – si tant est qu’il y en ait une… Le numéro de Documents de novembre 2012 consacré à « Patrimoine numérique, numérisation du patrimoine » comportait déjà plusieurs articles ayant adopté cette forme : « La numérisation, révolution culturelle ou révolution technologique ? » ; « Numériser le patrimoine documentaire, pour quoi faire ? » ; d’autres comportaient les mots « défi à relever » ou « problèmes » à affronter ; la plupart s’interrogeaient.

Se demander ce que font au patrimoine cinématographique les technologies liées au numérique rencontre les mêmes questions et quelques autres. Mais le cinéma offre peut-être un cas « paradigmatique » car il se trouve confronté depuis toujours aux problèmes posés aujourd’hui par la numérisation à l’ensemble des domaines appartenant au patrimoine culturel, artistique, aux archives « papier » notamment – qui n’y étaient point accoutumés.  En effet le cinéma est voué dès l’origine et pourrait-on dire « ontologiquement » aux duplications, aux transferts et aux transcodages avec le cortège de modifications, transformations, altérations qui les accompagnent. Et cela nullement dans la seule perspective de la conservation des films (préoccupation qui apparaît au cours des années 1920), mais dans le cadre de sa production, sa distribution, son exploitation. Les technologies numériques s’inscrivent donc, dans son cas, dans une filiation. Certes celle-ci, jusqu’à ces dernières décennies, se développait au sein d’un domaine relativement homogène, celui de la pellicule argentique. Or, d’une part, cette unité et cette continuité de support sont trompeuses, d’autre part il n’est pas certain que l’on ait abandonné la pellicule pour le numérique, refermé ce que certains spécialistes de la photographie ont appelé « la parenthèse argentique ». En particulier dans le domaine de la conservation.

Il reste que depuis son apparition, le cinéma connaît des transformations de son support comme de ses modalités de visionnement et des projets de changements de support et de mode de consultation, lecture, vision. En conséquence les institutions vouées à conserver le patrimoine cinématographique (cinémathèques, filmothèques, archives du film, filmmuseums, etc.) se trouvent devant une multiplicité de types de films et de machines permettant de les visionner/projeter. La génération numérique – qu’elle concerne des films « nés numériques » ou des copies numériques de films argentiques – s’ajoute à cette multiplicité. La question est bien cependant de savoir si elle n’est qu’un épisode supplémentaire de cette évolution ou si elle transforme plus profondément la situation (révolution).

 

La question du support

La matière signifiante du cinéma n’est pas « indifférente » à son support – contrairement à la chose écrite qui demeure la même au gré des changements de papiers et de modes d’impression (le passage du papyrus au papier et du papier à base de chiffons au papier à base de bois, non plus que le passage de l’impression au plomb à l’offset puis au jet d’encre n’affectent un texte) –, le film est, lui, sensible à ces transformations matérielles (pellicules, bandes magnétiques, données informatiques). Pourtant il y est condamné puisque les procédés, les matériaux industriels dont il dépend (pellicules, émulsions, bains révélateurs, tireuses, projecteurs, etc.) n’ont cessé d’évoluer ou de changer. Il n’est pas non plus indifférent à ses conditions de visionnement : projection agrandissant un photogramme 24x36 sur un écran de 20 ou 40 m2 pour un public d’une centaine de personnes ou diffusion sur un écran de télévision pour quelques personnes, consultation individuelle sur ordinateur ou téléphone portable ; projection continue ou fragmentée, dans le noir ou en pleine lumière, etc.

Cependant la situation actuelle, la dite « révolution numérique », qui touche le cinéma (plus de pellicule de tournage, d’exploitation, plus de bobines, plus de table de montage, plus de magnétophone avec bande magnétique, de report son, plus de projecteur mécanique) fait partie, on l’a dit, des « gènes » du cinéma, medium technico-industriel promis à se transformer d’autant plus rapidement qu’il est un produit de masse. On s’efforce dès 1900 d’augmenter la taille de l’écran (200 m2 à l’Exposition universelle) tout en imaginant sa miniaturisation (le cinéma chez soi : format réduit – 9,5mm). On développe l’exploitation dans des salles de plus en plus monumentales et simultanément on prévoit de transmettre les films par ondes électriques, comme la radio transmet les sons (télé-vision). On augmente la taille de la pellicule pour y inscrire plus d’informations analogiques (70mm) tout en la réduisant pour d’autres usages à 8mm, on imagine de la remplacer par la bande magnétique (vidéo) puis l’informatique.

Chaque retirage d’un film fait varier tout un ensemble de paramètres : les uns procèdent de l’état des matériels tels qu’ils ont pu évoluer aux plans chimique, mécanique, d’autres de choix liés à l’exploitation – emplacement des cartons pour les films muets, adjonction d’une bande sonore  –, voire à des choix esthétiques ou supposés tels. Du nitrate de cellulose au polyester en passant par le diacétate de cellulose et le tri-acétate, il y a un monde (composition chimique, qualité mécanique, liens émulsion/support, finesse de la bande) ; de l’orthochromatique au panchromatique aussi (sensibilité chromatique) ; de la pellicule négative à l’inversible, du 60mm au Super8mm (format), etc. Il y a eu un nombre considérables de types et de marques de pellicules dans le monde depuis les années 1890 et la plupart ont été abandonnées et remplacées par des matériels censés être plus performants à divers titres (la capacité à enregistrer à basse luminosité avec l’augmentation des « asa » qui passent de chiffres unitaires puis à dizaines à des centaines voire milliers), y compris étrangers à nos attentes qualitatives : par exemple la résistance de telle nouvelle pellicule à la traction mécanique des machines de développement ultra-rapides ou à celle de l’appareil de projection (dès lors qu’on dispose d’une bobine de 2 000 m. et non plus de petites unités de 300 m). Ce sont des contraintes techniques et elles peuvent déterminer des effets esthétiques ou de valeur en informations de diverses natures.

Il s’ajoute à ces contraintes matérielles et objectives, les déterminations culturelles, de goût, les normes nouvelles qui se constituent et gouvernent les choix des techniciens qui procèdent apparemment de manière neutre à ces opérations : étalonnage, mixage, rythme. Choix qui sont souvent institutionnalisés par les commanditaires, le système de diffusion commerciale (DVD) et « naturalisés » dans les discours promotionnels et même « scientifiques » qui les accompagnent. Le film n’est pas qu’un objet « technique », il résulte d’un ensemble stratifié de pratiques, d’usages, de normes intériorisées qui se transmettent et s’institutionnalisent.

En ce sens, le film participe de la situation des œuvres qui font l’objet d’une « interprétation » (partition musicale/interprétation en concert/disque/ diffusion, etc.) : il est « joué » durant des jours, des années, des décennies et des variations opèrent durant ces centaines et milliers d’événements ; il fait l’objet de manipulations diverses, il est adapté au moment actuel. Mais où est la partition, le « livret », les « didascalies », le film virtuel qui attend son actualisation ? Nul ne dira qu’il s’agit du scénario, ni du découpage, est-ce alors le négatif, matrice permettant la duplication des positifs ?

Il est évident que, pour une part, les « choix » opérés lors de re-tirages de copies de films n’en sont pas : comment pourrait-on exploiter un négatif usant d’un procédé couleur qui n’est plus en usage ou… ne l’a jamais été (le Rouxocolor) ? A l’inverse de nouvelles pellicules positives plus sensibles ou moins contrastées peuvent exploiter un négatif noir-blanc des années 1920 au-delà ce qui était alors possible. On ré-invente « l’original ».

 

La question de l’original

On sait – Walter Benjamin a eu à cet égard la « bonne formule » pour le dire – que le cinéma n’a pas d’original. Ou du moins la question de l’original se pose en son cas de manière particulière : en effet le seul élément qu’on pourrait qualifier ainsi est son négatif (et encore y en a-t-il eu souvent plusieurs – plusieurs caméras filment simultanément par sécurité ou pour disposer de plusieurs négatifs – avec des variantes de toutes sortes : angles, durée, etc.). Or le négatif n’est pas l’objet donné à voir, c’est une matrice, en quelque sorte, destinée à générer des positifs. Lesquels constituent tous des copies – le mot est important – censées être toutes semblables mais qui ont souvent une identité propre pour diverses raisons qui vont du tirage aux adaptations qu’on leur fait subir pour l’exploitation (selon les pays, les époques).

Cette situation diffère de celle de la photographie où l’on a, par convention, suppléé cette particularité du rapport négatif/positif(s) en convenant que les tirages établis par ou sous le contrôle de l’auteur sur une période donnée et en une quantité donnée représentent des originaux. La manière dont fonctionne la photographie au plan du marché – il s’agit du marché de l’art – explique ces dispositions[1]. Elles ne se retrouvent pas dans le cas du film de cinéma.

Celui-ci est d’emblée un produit industriel et commercial de masse (sauf exceptions marginales), dupliqué à des milliers ou millions d’exemplaires. Il n’a pas d’auteur (personne). Il y a une fonction auteur dont participe le producteur aussi bien, voire l’exploitant à certaines époques, sans compter les collaborateurs « artistiques » du metteur en scène : scénariste, opérateur, décorateur… ou projectionniste. Jean Epstein, en 1924, exprimait cette situation particulière en déplorant de ne pouvoir retoucher, corriger, faire des variantes d’une édition à l’autre du film, de ne pouvoir continuer à « modeler [s]on film au gré de [s]on idée » continuer « à le créer ». Il voyait un signe de la modernité du film dans cette émancipation « le plus vite possible » d’avec son concepteur, avant même d’être achevé.

La distinction goodmanienne des œuvres autographiques (peinture, objet unique dont toute copie est une contrefaçon) et allographiques (musique, littérature sujettes à exécutions multiples chacune réalisant l’œuvre) s’applique difficilement au cinéma dont on peut dire qu’il est à la fois allographique (chaque projection d’une copie réalise l’œuvre qui n’existe que sur l’écran – on a pu parler du film comme « produit semi-fini ») et autographique (chaque projection diffère pour un ensemble de raisons qui tiennent à l’état de la copie – censure, adaptation linguistique, usure –, les conditions de projection, l’environnement – circonstances, salle, public –, etc., et tend à avoir une valeur d’unicité à tout le moins de singularité et donc à constituer un « original » qui ne repose qu’incomplètement mais tout de même dans l’exemplaire du film comme objet matériel). Ainsi loin de suivre tel responsable de cinémathèque qui disait rêver de savoir conservés dans leurs pays respectifs les films qui y furent produits afin de pouvoir, lui-même, « dés-encombrer » ses archives et ne les vouer qu’à conserver les productions nationales, il convient de conserver et de distinguer toutes les copies subsistantes des films distribués à travers le monde qui ont toutes des particularités intéressant l’historien comme l’amateur. C’était une des préoccupations d’Henri Langlois qui combattait la prétention des cinémathécaires à faire des « sélections », comme de croire pouvoir se défaire de copies anciennes (et inflammables) dès lors qu’elles auraient été dupliquées, ou de pouvoir négliger des copies incomplètes, doublées, existant en meilleur état ailleurs, etc.[2]

L’activité proprement dite d’une archive du film tient aux soins qu’elle prodigue à des produits retirés du marché pour des raisons d’obsolescence commerciale, culturelle, technique d’usure des copies ou d’échéance de droits. Les collections des grandes cinémathèques se sont constituées sur ces quatre bases-là à partir d’une conscience de la valeur patrimoniale de ces productions qui avaient perdu leur valeur commerciale (Cinémathèques française, suisse, etc.). Elles ont continué de s’enrichir de cette manière (dépôt légal ou volontaire des distributeurs) et seulement marginalement par des acquisitions.

En outre conserver un film a longtemps consisté à en produire une copie censée être identique à sa source dès lors que celle-ci était détériorée, sans que les considérations qu’on a énumérées plus haut soient prises en compte. La disparition prochaine de la pellicule et le fait que la duplication implique désormais un changement de support, de nature même de l’objet « film » a fait prendre conscience plus vivement qu’auparavant de la valeur d’objet de chaque copie. 

 

Révolutions et contre-révolutions numériques

Les cinémathèques sont amenées aujourd’hui à s’interroger sur leur fonctionnement quant à l’enrichissement de leurs collections, à leur entretien et à leur mise à disposition du public. Trois aspects que l’adoption précipitée du numérique (production, distribution, exploitation) par la chaîne industrielle et commerciale du cinéma conduit à reformuler. D’une part, en effet, elle fait disparaître les copies comme objets physiques. Déposera-t-on désormais dans les cinémathèques des disques durs, des fichiers DCP (Digital Cinema Package) et pourquoi le ferait-on, sauf obligation légale, en attendant que la promesse d’une transmission dans les salles par fibres optiques ou satellites supprime tout simplement le problème. D’autre part la fermeture des laboratoires de tirage (liés à la production et surtout la distribution des copies argentiques) et l’éventualité (annoncée depuis plusieurs années) de la fin de la production de pellicule par Kodak et Fuji (pour ne citer que les firmes les plus importantes) obligent les cinémathèques à revoir leur politique de sauvegarde des films qu’elles conservent et qui nécessiteraient restaurations et nouveaux tirages (fût-ce la poursuite des transfert du nitrate inflammable sur « safety » pour des raisons de sécurité). Elles entreprennent donc la numérisation de leurs fonds. Enfin, la disponibilité de supports numériques change évidemment les conditions de consultation des films. Jusqu’ici celle-ci tenait avant tout dans les projections régulières que les cinémathèques organisent dans leurs locaux à partir de leurs collections et grâce à un système d’échange avec d’autres institutions sœurs. Dans une moindre mesure elle tenait – pour les chercheurs – en consultation sur table de visionnement. Ces deux modalités ont été considérablement augmentées par l’organisation de festivals (les deux plus importants en Italie « Il Cinema ritrovato », « Giornate del cinéma muto »), fréquentés par des chercheurs, des universitaires, des archivistes et des cinéphiles, qui ont généré un accroissement de l’activité d’inventaire, de sauvegarde et de restauration des collections.

Désormais ce qu’on appelle la restauration des films (consistant à éditer une nouvelle copie complétée avec d’autres, conformée à ce qu’on sait ou croit savoir de la copie d’origine) s’effectue à l’aide des techniques informatiques mais elle aboutit à un objet numérique et plus rarement une copie argentique. Par ailleurs la consultation des chercheurs se fait désormais à partir de supports DVD (la vidéo avait déjà été introduite auparavant). Or ce sont des succédanés qui peuvent répondre à certains types de recherches mais pas à d’autres (attachés à la réalité de l’objet matériel qui est un document riche d’informations).

Mais la numérisation des fonds porte en elle la promesse d’une mise à disposition aisée en direction du grand public (à condition que les aspects juridiques trouvent une résolution), soit sur place, soit depuis chez soi en passant par le réseau internet (mise en ligne).

Ces trois perspectives trouvent cependant plusieurs obstacles sur leur chemin.

Le premier est l’impossibilité matérielle dans un délai raisonnable voire à tout jamais de pouvoir effectuer la numérisation des fonds existants. Aux problèmes strictement techniques (auxquels s’ajoutent l’évolution extrêmement rapide des standards et donc l’obsolescence à court terme des travaux effectués) s’ajoutent des questions économiques : personnel à engager, coûts à supporter. Cette numérisation devrait en outre intervenir dans une situation où les collections de la plupart des archives cinématographiques ne sont pas complètement inventoriées et sauvegardées dans des conditions qui en permettraient le transfert[3].

Cette situation impliquerait de pratiquer des choix au sein des collections et donc de condamner à l’oubli des pans entiers de l’histoire du cinéma. De laisser se détériorer des films anciens non identifiés ou peu valorisés pour l’instant (souvent faute d’avoir été étudiés) en mettant l’accent sur la numérisation des « meilleurs films » ou de ceux que l’on imagine correspondre à une « attente » du public.

Cette pratique du choix gouverne déjà depuis plusieurs années les restaurations de films anciens ou moins anciens. La plupart de ces opérations sont couplées, pour des raisons de rentabilité économique, avec une ressortie publique du film (salle, télévision) et une commercialisation DVD, dès lors elles se concentrent sur un nombre restreint de titres, d’auteurs, de périodes afin de permettre aux discours promotionnels leur exaltation incontrôlée… Ainsi restaura-t-on plus de six fois Metropolis de Lang, trois ou quatre fois le Napoléon de Gance. La construction d’un panthéon de chefs d’œuvre en nombre réduit est ainsi engagée au détriment d’une meilleure connaissance de l’histoire du cinéma.

Le second est l’absence de garanties quant à la pérennité des résultats obtenus et l’obligation de pratiquer le transfert permanent sur de nouveaux supports, de conformation à de nouveaux standards. Alors que le film argentique a donné des preuves de sa longévité (de l’ordre de la centaine d’années : ainsi les vues Lumière dont les négatifs et les positifs déposés par l’industriel en 1945 à la Cinémathèque française sont toujours en bon état), les supports du numérique sont de brève durée (4-5 ans). La numérisation des fonds ne peut donc en aucun cas se présenter comme une solution de préservation du patrimoine.

 

Après le numérique

Si la duplication-transcodage numérique offre toute une série d’avantages pour la consultation, le téléchargement, le transfert, l’économie du stockage, il ne résoud donc pas le problème de la conservation des objets-films qui reste posée. Celle-ci on l’a vu a deux volets : a) conserver l’objet lui-même tant qu’il n’est pas dégradé et détruit ; b) reproduire la copie en un double sur un même support ou proche de lui afin de ne pas altérer ses caractéristiques.

Le premier aspect suppose des conditions d’entreposage et une conscience de l’importance des objets en question. On a détruit des films sur pellicule nitrate au motif qu’on les avait transférés sur acétate ; le raisonnement se reproduit avec le numérique. Certaines archives ou certaines de leurs tutelles ont hâte de pouvoir se débarrasser des objets-films quelles que soient les mises en garde qui ont été émises sur la pérennité des stockages numériques.

Le second suppose la disponibilité de laboratoire et de pellicules. Certaines cinémathèques se sont dotées de laboratoires (Bologne, São Paulo par exemple) mais elles ne pourront pas fabriquer de la pellicule sinon à des coûts prohibitifs.

Actuellement un certain nombre de cinémathèques ont fait le choix de conserver sur des pellicule négative les films désormais conçus et diffusés en numérique et de conserver sous cette forme leurs collections à mesure que les copies positives argentiques se dégraderont.

Ces supports (matrice) pourront générer des copies numériques positives. Cela suppose que l’industrie continue de produire de la pellicule négative (elle s’y est engagée mais le critère de la rentabilité sera décisif) et que des laboratoires subsistent dans les différents pays (ce qui est moins sûr encore).

Enfin il serait illusoire de considérer le numérique comme le dernier mot de ces évolutions en matière de reproduction. Il faut, au contraire, se placer dans l’hypothèse de son dépassement et son remplacement par d’autres technologies afin de se demander dès maintenant comment les œuvres ou documents « nés numériques » ou conservés seulement en numérique seront préservés pour l’avenir – comme nous y incite Paolo Cherchi-Usai. Celui-ci part en effet de cette hypothèse euristique : « Le numérique est un médium en voie de disparition, et la migration est son cancer. Le numérique doit être préservé avant son effondrement. »[4] De là, la nécessité de se placer dans la situation d’un « après le numérique », comme les évolutions technologiques et les décisions de divers « décideurs » nous placent dans un « après l’argentique ».

C’est seulement au prix de ce renversement de perspective qu’une compréhension des réels problèmes des archives contemporaines peut avoir lieu. Non pas tant imaginer comment numériser les images mobiles argentiques pour les conserver, démarche qui n’a de validité qu’à court terme, que la manière de préserver à long terme à la fois les images argentiques et les images numériques, sous une forme qui permettrait leur expérience.

 


[1] Un jugement newyorkais a récemment établit qu’un retirage numérique à partir de négatifs argentiques, qui avait donné lieu à un nombre limité de photographies sur papier, ne contrevenait pas à cette limitation initiale car il s’agissait de « nouveaux objets » (plainte d’un collectionneur contre le photographe William Eggleston).

[2] Voir Michel Mardore, Eric Rohmer, « Entretien avec Henri Langlois », Cahiers du Cinéma, 135, septembre 1962.

[3] Voir l’utile mise au point de de Francine Gauthier, du Centre de conservation du Québec : « L’impact du numérique sur les normes et les supports traditionnels de préservation », disponible sur internet (www.ccq.gouv.qc.ca/fileadmin/images/img.)

[4] Voir Paolo Cherchi Usai, « The Conservation of Moving Images », Studies in Conservation, vol. 55, n°4, 2010, pp. 250-257.

 

 
Extrait sonore :
 
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Voir Paolo Cherchi Usai, « The Conservation of Moving Images », Studies in Conservation, vol. 55, n°4, 2010, pp. 250-257.