(29 minutes),
en présence de la cinéaste, Jacqueline Veuve

14h.14-15h.00


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Extrait sonore :
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Introduction par Gilbert Kaenel, membre du comité de Réseau Patrimoines

Payernoise et broyarde, comme Gilbert Kaenel, Jacqueline Veuve, cinéaste et ethnologue, a produit son premier long métrage « La mort du grand-père ou sommeil du juste », en 1978, qui a reçu une prime à la qualité et a été présenté au Festival de Locarno de 1978. Depuis, elle a accumulé les films, le plus souvent primés, et qui s'inscrivent dans une belle cohérence. « Un coin de paradis » (Ossola, village dans le val d'Hérens) est le dernier film produit. Il date de 2006. Il faut saluer la démarche pionnière de Jacqueline Veuve, de garder les traces des traditions, des coutumes, des métiers menacés de disparition, en liant l'image à la parole, l'objet à sa signification. Elle a collaboré avec Jean Rouch, au Musée de l'Homme, à Paris, Département des films ethnographiques et sociologiques, et Richard Leacock, Section Film, Massachussets Institute of Technology.

Le film « Joseph Doutaz & Olivier Veuve, tavillonneurs », de 1989, tourné en 16 mm, d'une durée de 29 minutes, a été reçu la Prime à la qualité de l'Office fédéral de la culture, le « Diable d'Or », au Festival du film alpin des Diaberets, en 1989 et le prix du meilleur film documentaire, au Festival international du film d'architecture et d'urbanisme, de Lausanne, en 1989. Il fait partie d'une série de 9 films sur les métiers, les hommes du bois et plus spécifiquement les métiers du bois en voie de disparition (sauf "Claude Lebet, luthier") :

  • "Le sable rose de montagne" (1987, 26 min.)
  • "Armand Rouiller, fabricant de luges" (1987, 44 min.)
  • "Claude Lebet, luthier" (1988, 35 min.)
  • "Michel Marlétaz, boisselier" (1988, 30 min.)
  • "François Pernet, scieur-sculpteur" (1988, 27 min.)
  • "Les frères Bapst, charretiers" (1989, 26 min.)
  • "Marcellin Babey, tourneur sur bois" (1989, 30 min.)
  • "Noldy Golay, fabricant de jouets" (1992, 28 min.).

Le tavillonneur coupe et pose des tavillons (« tuiles en bois »). Le tavillon (du mot patois « tava » : planchette) est l'une des couvertures les plus anciennes 1 qui porte souvent la signature du tavillonneur. Il n'y a plus d'apprentissage officiel.

 

veuveorateur164Commentaires de Jacqueline Veuve

Dans le film, Joseph Doutaz travaille essentiellement dans le canton de Fribourg et Olivier Veuve dans le canton de Vaud. Ils ont des techniques de coupes et de poses différentes, Joseph Doutaz coupe et pose des tavillons, Olivier Veuve des tavillons et des anseilles (qui sont en fait des tavillons plus longs et plus épais). Pour les néophytes, ce sont des couvreurs de tuiles en bois, tuiles fabriquées par eux.

En 30 minutes, il fallait montrer leur savoir faire, leur amour du 'bel ouvrage', leur attachement sensuel au bois, La difficulté pour moi était de montrer par ellipses leur travail. Il faut toujours penser au spectateur qui doit comprendre et être touché en 30 minutes par les tavillonneurs et leur travail durant toute l'année. J'ai choisi de les filmer en travaillant, et de leur poser des questions une fois le film tourné et monté pour éviter le style du genre ' ... ici vous voyez Olivier Veuve qui coupe des tavillons ... ', alors qu'en commentaire off soit on ne dit rien, soit on peut expliquer autre chose sur l'anseille.

Avec Olivier Veuve il n'y a pas eu de problèmes pour enregistrer ces commentaires et il connaissait bien l'histoire du tavillon dans le monde. Avec Joseph Doutaz c'était plus difficile, il n'avait pas l'habitude d'être interviewé, il pensait sincèrement qu'il ne savait pas s'exprimer, qu'il valait mieux que j'explique moi ce qu'il faisait. Nous nous sommes armés de patience, lui et moi, et nous y sommes arrivés.

Avec du recul, 20 ans après en 2009, en voyant le film à l'Aula de Rumine, j'ai trouvé qu'il avait très bien vieilli, mais qu'il était trop bavard et moi qui reste toujours contre les films trop bavards, j'étais tombée dans le panneau ...

Cette série de 9 films tournée en 16 mm de 1987 à 1992 a pu être produite d'abord grâce à la Loterie Romande qui a demandé que je cherche et trouve des protagonistes si possible dans toute la Suisse Romande, Dans le Jura j'avais rencontré un sabotier qui est décédé avant que je commence à tourner, Thierry Garrel, responsable de l'unité documentaire d'ARTE, était tout à fait enthousiaste et a coproduit, me restait à convaincre Claude Torracinta, responsable du documentaire à la TSR, ce qui a été difficile, ce n'était pas le style 'Temps Présent'. Quant à l'Office fédéral de la culture, section cinéma, c'était 'non'.

A l'époque, on était obligé de très bien préparer le tournage, la pellicule était chère; aujourd'hui, en vidéo, on tourne, on tourne et on réfléchit après ... . Il fallait voir l'artisan pour décider ce qui était important de tourner pour comprendre, l'interviewer sur les bois, ses choix etc. Un exemple pour le luthier, Claude Lebet : il met un mois pour faire un violon, nous avions 10 jours de tournage pour un film de 30 minutes. Pour nous il a construit deux violons, l'un à ses débuts, l'autre au milieu de la construction.

Que sont devenus nos protagonistes ?

Joseph Doutaz travaille encore un peu, a trouvé un collaborateur;
Olivier Veuve cherche en vain un associé qui reprendrait par la suite son atelier, il trouve bien des aides l'été, mais ne voulant pas s'engager plus loin;
Henri Chilliez, protagoniste du "Sable rose de montagne", et décédé;
Armand Rouiller, fabricant de luges, vit dans un EMS avec sa femme, il n'a pas été remplacé;
Claude Lebet, luthier à La Chaux-de-Fonds, s'est installé à Rome;
Michel Marlétaz, boisselier aux Echenards, est décédé, il n'a pas été remplacé;
François Pernet, scieur-sculpteur à Vers-l'Eglise, a vendu sa scierie qui ne fonctionne plus, il a repris son ancien métier de menuisier-charpentier;
Marcellin Babey, tourneur sur bois, n'a plus construit de cornemuse, objecteur de conscience ; il a quitté la Suisse en 1989 pour s'installer en Bourgogne où il travaille toujours le bois;
les frères Bapst, charretiers à La Roche, ne charrient plus le bois avec leurs luges et leurs chevaux, la commune fait venir des hélicoptères pour ce travail; conséquences : ils ne fabriquent plus de luges;
Noldy Golay, fabricant de jouets, est décédé, son fils voulait continuer, il n'en a pas été capable.

En 2009, je peux me dire avec une certaine fierté que, grâce aux films, des traces restent de leur manière de faire, de parler avec amour du bois et ... de la vie 2.

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Notes

1 Ancelle est le nom utilisé en Savoie et anseille celui utilisé en Suisse romande. Bardeau, aisseau, planchette utilisée pour la couverture des toits. De l´ancien français ancelle, « ais, bardeau ».

2 Il existe un DVD des 9 films, qui peut être commandé en ligne Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., ou directement auprès de VPS prod (av. de Sévelin 48, 1004 Lausanne).Voir également le site de Jacqueline Veuve, www.jacquelineveuve.ch